L’industrie maritime est un secteur mondial qu’on ne peut restreindre à l’échelle d’un Etat.
Sur un plan général, à la fin de l’année 2016, on constate que, l’industrie maritime doit faire face à une surcapacité des moyens de transport et à un tassement des volumes transportés. Ce constat est vrai dans le domaine du transport de marchandises mais aussi dans le domaine des services maritimes, comme c’est le cas pour l’offshore oil & gas qui a connu un arrêt brutal avec la chute du baril. Seuls certains secteurs de niche restent porteurs.
Cette surcapacité, qui handicape l’ensemble de l’industrie maritime, ne se résorbera pas facilement. Aucune réglementation n’est susceptible prochainement de pousser vers la démolition d’une partie significative de la flotte, comme cela a été le cas pour les tankers lorsqu’ont été imposées les doubles coques. Il faudra donc attendre que la pression économique impose des démolitions pour espérer voir se réduire cette surcapacité ce qui favorisera la remontée des taux d’affrètement et la reprise des investissements.
Dans ce marché mondial, toute forme de protectionnisme est à double tranchant : défendre un marché domestique qui devient fortement contraint risque de rendre ses acteurs moins compétitifs sur le marché international. De plus, si le marché domestique est trop limité, il ne permet pas de travailler sur un volume économique suffisant. Toute réflexion « protectionniste » devrait se faire au minimum à l’échelle de l’Europe pour concerner un espace suffisamment large pour y faire se développer les acteurs. Favoriser ou aider un secteur, comme cela a été le cas pour le shortsea, peut temporairement aider inciter à un développement. Mais l’arrêt des aides se traduit le plus souvent par un arrêt de l’activité ; ce qui démontre que cette activité n’est pas pérenne dans un contexte économique global. Dans ce contexte, plutôt que de « protéger » les acteurs français, ne serait-il pas préférable de libérer les armateurs français de certaines contraintes afin de les rendre plus compétitifs à l’international ? Pour les armateurs, il convient aussi, afin de leur permettre de se lancer dans un investissement « lourd », de leur donner un cadre d’activité stable qui leur assure un minimum de visibilité.
L’investissement ne sera motivé dans le domaine de la construction navale que par des gains de productivité ou pour répondre à des contraintes environnementales. La performance passe par une meilleure gestion de l’énergie et des coûts d’exploitation. En matière d’efficacité énergétique, les améliorations sur les moteurs, les lignes propulsives et les carènes. En matière de productivité humaine, l’automatisation des moyens de manutention et le navire numérique pour le suivi des opérations et le développement des services, peuvent optimiser l’exploitation par une gestion à terre et moins de personnel en mer. Les contraintes environnementales, que l’on voit s’imposer essentiellement dans les pays occidentaux, se traduisent par la nécessité de revoir les modes de propulsion et les types d’énergie. Peu de solutions permettant d’utiliser des énergies alternatives, essentiellement du fait des difficultés de stockage de ces énergies, ne sont actuellement de nature à apporter des solutions industrielles.
Quelques secteurs permettent aux industries navales de maintenir un certain niveau d’activité. Parmi eux, la croisière se porte bien mais compte peu d’acteurs, armateurs et constructeurs. L’industrie navale de défense répond actuellement à une préoccupation globale de renouvellement des moyens mais reste soumise aux capacités d’investissement des Etats. La pêche en Europe est portée par un impératif de renouvellement d’une flotte âgée qui est surtout le marqueur de la fin d’un cycle douloureux de transformation de l’industrie de la pêche.
L’Europe dispose encore aujourd’hui d’une importante capacité industrielle navale qui se positionne diversement dans le marché actuel.
En France, il existe une un certain nombre d’acteurs pour la construction de navires pouvant aller jusqu’à 80 m et deux « grands » chantiers : STX France, pour la croisière et DCNS, pour la construction navale militaire. La fermeture des chantiers de taille moyenne - période qui s’est achevée par la fermetures des chantiers du Havre à la fin des années 90 - a en revanche créé un vide dans les capacités industrielles françaises pour les navires de 80 à 150 mètres, vide que certains tentent de combler. Mais cela nécessite des investissements lourds, tant en matière de foncier et d’équipement que sur le plan humain, et ces investissements doivent être justifiés par un marché.
Les autres pays européens se sont positionnés différemment. La Norvège a elle adapté son outil de production afin de gérer variations de charge en s’appuyant sur des capacités de sous-traitance en Europe de l’est. L’Allemagne dispose de chantiers modernes, pour certains contrôlés par des capitaux étrangers, et la question de la pérennité des prises de position de ces actionnaires peut se poser. La Hollande voit se consolider son activité navale, emmenée par Damen qui a repris de nombreux sites de réparation ces dernières années. Plus au sud, l’Espagne a su prendre dans les années 2000 le virage de la pêche vers l’offshore, préservant une bonne activité pour de nombreux chantiers de taille moyenne. En Italie, le gouvernement a supporté en tant qu’actionnaire et en tant que client les chantiers Fincantieri qui sont aujourd’hui solidement positionnés sur le marché de la croisière et dans le domaine militaire. L’Europe de l’est connaît une fin de cycle, 25 ans après la chute de l’Union Soviétique et la privatisation des chantiers. Tous n’ont pas su se moderniser et investir régulièrement pour s’ouvrir un avenir. La Pologne a réussi à conserver quelques chantiers indépendants, constructeurs de coque ou de navires, très liés économiquement à la Norvège en termes de clients, de sous-traitance, de design. Les principaux chantiers roumains sont eux entre les mains de grands groupes étrangers comme Damen ou Vard. Enfin, pour terminer ce tour d’horizon, il faut mentionner la Croatie qui fait face à une surcapacité de construction que son entrée dans l’UE a mise en lumière.
L’industrie navale en France, mais plus généralement en Europe, est donc confrontée à d’importants défis liés au marché, aux évolutions techniques et aux capacités industrielles. Des perspectives existent dans les domaines de l’énergie ou de l’accès à la nourriture. Mais les solutions ne se trouveront certainement pas à une échelle exclusivement nationale - quand bien même, comme c’est le cas pour la France, le domaine maritime est très important - mais à une échelle européenne, dans un marché où la mobilité des navires consacre une véritable et complète mondialisation.