Sea to sea : La propulsion vélique a-t-elle de l’avenir ?
Lise Detrimont : Face aux enjeux de la décarbonation et à l'urgence d'utiliser une propulsion plus propre dès aujourd'hui, la propulsion par le vent présente de sérieux atouts. Les technologies sont matures. Une quinzaine de grands navires de charge sont équipés en rétrofit aujourd'hui, le double d'ici fin 2023. Le premier nouveau navire, le Canopée, sortira de chantier d'ici l'été 2022, ouvrant un carnet de commande qui se remplit.
La propulsion par le vent, énergie gratuite, disponible et renouvelable, permet de réduire le besoin énergétique du navire et le recours à un carburant alternatif à une portion résiduelle. C’est important au vu du coût, de sa volatilité et des enjeux d'approvisionnement pour les carburants alternatifs. Surtout, cela permet de parier sur l'avenir. Le vent restera gratuit. ArianeGroup, par exemple, considère que c’est la manière la plus sûre de ne pas prendre de risque financier à moyen terme (15 ans). Par ailleurs, la réglementation ne freine pas l'adoption de ces systèmes. On constate déjà que les grandes sociétés de classification ont publié leurs guidelines sur la propulsion par le vent, et que les certificats de navigation sont délivrés aux projets sans problème. La propulsion par le vent pourrait équiper 45% de la flotte mondiale d'après les prospectives établies en 2019 par le Ministère du transport du Royaume-Uni, c’est un marché considérable.
Qu’y a-t-il d’innovant à propulser les navires à la voile ?
L.D. : Il y a une part d'innovation importante liée aux nouvelles technologies développées pour propulser les navires : les 5 principales catégories recensées - profils aspirés et rotors, profils minces, profils épais, et kites -s'inspirent notamment des acquis de la course au largeou de l'aéronautique, avec des automatismes, des process en matière de sécurité etc. qui relèvent réellement de l'industrie.
Mais la plus grande innovation réside sans doute dans la manière d'opérer les navires et de raisonner la logistique associée. Pour maximiser la propulsion par le vent, il est clair qu'une vitesse modérée sera optimale. Est-ce que cela signifie qu'on va aller moins vite ? En réalité, on peut équiper toute une flotte de navires dont la taille permet d'escaler dans des ports secondaires et ainsi rapprocher l'hinterland, évitant les longues traversées en camion pour atteindre les hubs de transbordement. Et in fine, gagner du temps et des émissions de gaz à effet de serre. Sans parler de la réduction de la congestion routière associée.
Quels sont les projets les plus remarquables en la matière ?
L.D. : De nouveaux armateurs proposent des niveaux de décarbonations extrêmement importants, comme les projets de Neoline et de TOWT - et trouvent des chargeurs prêts à les suivre.
D'autres explorent les multiples segments du maritime : Zéphyr & Borée travaille sur des rouliers mais aussi sur des porte-conteneurs et des petits cargos, tandis que les Chantiers de l'Atlantique proposent un navire de croisière équipé de voiles. On peut remarquer une grande diversité de technologies : CWS, CRAIN Technologies, Airseas, AYRO, Beyond The Sea ou encore ADD technologies et Maloric qui s'intéressent au segment de la pêche. Les systèmes de contrôle de navires hybrides et de routage développés par D-ICE ou Maxsea constituent eux aussi des éléments remarquables des projets.
Il est important de signaler que les armateurs ne sont pas les seuls à être proactifs : une entreprise comme Grain de Sail a choisi de transformer des produits pour les transporter à la voile. Et une coalition de grands chargeurs est en train de s'organiser en France pour charger des navires à propulsion par le vent dès 2025.
Les solutions sont-elles adaptées à tous types d’activités maritime ?
L.D. : Ce secteur s'adresse pratiquement à tous les segments de la flotte mondiale, qu'il s'agisse de cargo, roulier, vraquier, de ferry ou de navire de pêche, et à toutes les tailles puisque le plus grand navire équipé à ce jour est un VLOC de 325 000 tpl.
En réalité, certaines routes seront plus optimales que d'autres. Par exemple, les navigations transatlantiques sont très intéressantes, alors qu'une route Europe-Asie présentera sans doute plus de contraintes car l'équipage aura moins de marge de manœuvre pour optimiser sa route.
L'équipement des porte-conteneurs existants laisse lui aussi peu de choix, car le pont est extrêmement encombré. En rétrofit, pour l'instant seul le kite semble adapté. En revanche, de nouveaux concepts de porte-conteneurs intégrant d'autres systèmes de propulsion par le vent ont reçu des AIP de la part de sociétés de classification.
L’industrie française a-t-elle une carte à jouer dans le domaine ?
L.D. : Il existe un écosystème particulièrement porteur en matière de propulsion par le vent en France. Ce croisement entre les compétences de certaines industries qui peuvent se réinventer, comme l'aéronautique, ou se diversifier, comme la course au large, constitue un terreau extrêmement fertile.
La concentration d'équipementiers proposant des technologies en France constitue une autre spécificité pour ce marché, en complément de ces nouveaux armateurs très ambitieux en matière de décarbonations, tandis que toute une chaîne industrielle pour la fabrication des composants de ces systèmes est capable de répondre aux commandes ou est en train de se doter de moyens pour y répondre.
Nous sommes cependant encore sur des prototypes industriels dont le coût est élevé, dans une période où les incertitudes réglementaires et économiques ne poussent pas à prendre des risques quant aux investissements. C'est là que la volonté politique française peut aider cette filière à accélérer la cadence.