Si les conséquences du Brexit affectent la pêche française, un poisson pêché sur trois l’étant dans les eaux britanniques, en Méditerranée le secteur est confronté à d’autres maux, entre nécessité de préserver la ressource et exercice rentable de leur métier. Diminution de la flotte, baisse des quotas, hausse du gasoil, éoliennes… les pêcheurs sont-ils menacés d’extinction ? L’Union Européenne a mis en place en 2019 un plan pluriannuel permettant une meilleure protection des stocks de poissons en Méditerranée occidentale afin de « revitaliser les stocks décimés et à assurer la durabilité environnementale et socioéconomique des pêcheries dans cette zone ». Aux Assises de la Pêche en novembre dernier la Ministre de la Mer Annick Girardin a réaffirmé son souhait de « poursuivre l'application du plan de gestion visant une baisse de 40 % de l’effort de pêche d’ici à 2025. C’est notre ambition, nous voulons faire de la Méditerranée une mer exemplaire. » Tout en assurant de sa détermination à soutenir une baisse progressive, dans le respect des équilibres socio-économiques, c’est par « la mise en place de plans de sortie de flotte, sur la base du volontariat », qu’elle entrevoit une issue pour les chalutiers qui ne pourront plus supporter ces baisses de quotas. Alors que vont s'ouvrir les négociations annuelles les 12 et 13 décembre prochains, les pêcheurs appellent la Commission européenne à maintenir les 187 jours de mer actuels, quand cette dernière propose de réduire à 167 jours par an le quota maximum. Ils iront eux aussi bloquer les ports le 11 décembre pour se faire entendre.
Qu’en est-il vraiment de la situation en Méditerranée et qu’en disent les professionnels ?
12 000 tonnes de poissons de 60 à 70 espèces
La pêche française en Mediterrannée ce sont environ annuellement 12 000 tonnes de poissons de 60 à 70 espèces débarquées : poissons de fonds (baudroie, merlu, loup, daurade, rougets, pageots, etc..), poissons pélagiques (thon, espadon), sans oublier les poulpes et calamar. Une grande diversité d’espèces et une pêche artisanale à la journée qui représentent un chiffre d’affaires de 51 Million d’euros (chiffres 2019 de FranceAgrimer), produites principalement par 2500 pêcheurs débarquant dans les 4 criées d’Occitanie, Sète, Agde, Port la Nouvelle et le Grau du Roi (10 000 t. et 40 millions d’euros). La flotte occitane ce sont 700 navires ( 57 chalutiers, 22 thoniers senneurs et 621 petits métiers) à la côte et sur 40 000 ha de lagune. En PACA, il y a environ 800 bateaux, tout confondu, jusqu’à Monaco et en Corse, 250 petits métiers, 5 chalutiers et 8 corailleurs. En plus des comités des pêches, 33 prudhommies dont 11 en Occitanie font perdurer « un système de gestion locale autogéré mais non reconnu au niveau européen, précise le Corse Gérard Romiti, président du CNPMEM. Une référence historique de l’encadrement des pêches et de la mise en marché des produits, » appliquant le principe Colbert qui autorise la vente directe par les femmes de pêcheurs.
La faute au merlu et au rouget?
Le plan West Med prévoit de réduire le nombre de jours de mer, pour les chalutiers, à 167. En cause ? La raréfaction du merlu et du rouget de vase « sur un stock de près de 200 espèces de poisson, dans une mer fermée qui se renouvèle tous les cent ans, » indiquait Gérard Romiti. Aux Assises de la pêche. « Il n’y a pas de TaCS en Méditerranée en raison de cette multi-spécificité des stocks de poissons dont nous avons conscience du manque de connaissance, soulignait Stéphane Gatto, de la DPMA. Nous estimons qu’il faut d’abord améliorer la Connaissance des stocks pour influer sur des mesures prises par l’Union européenne sur la base du principe de précaution. L’orientation d’ici 2023 va vers une baisse maximale de 40%. Notre objectif est de ne pas en arriver là ! Nous souhaitons rester à 183 jours en 2022 sur la base des mesures de fermeture temporaires de certaines zones qui apportent un résultat positif de 50% d’amélioration alors que l’objectif était de 20 %. Cette mesure est partagée avec l’Espagne qui respecte aussi ces règles. Nous comptons donc faire valoir cela à la Commission européenne en y allant en meute ! » Sans compter que ces espaces sont partagés en Europe mais aussi avec d’autres pays.
Une situation insoutenable pour les pêcheurs
Pour Jef Gros, 28 ans, pêcheur sétois qui a racheté le navire de son père construit en 1977, « C’est compliqué d’être sélectif sur 2 espèces et compliqué de se projeter. Je ne sais pas quoi dire à mes marins. On veut travailler et vivre de notre travail. Ce que je voudrais, c’est avoir 200 jours et continuer comme cela. On ne nous donne pas le choix. Les charges fixes restent. On peut toujours s’améliorer mais nous avons trop de contraintes. En dessous de 183 jours, on n’est plus rentable. 167 jours ce n’est pas acceptable ! »
un enjeu majeur pour nos territoires et pour notre avenir
Le bateau de Bernard Perez, président du Comité régional des pêches d’Occitanie et pêcheur à Port La Nouvelle, était déjà à l’arrêt au début du mois de novembre. « Nous avons réussi à trouver le parfait équilibre en matière de gestion en Méditerranée entre les métiers, entre les criées … un équilibre menacé par ce nouveau Plan de Gestion, » s’alarme le pêcheur. « La pêche française a un savoir-faire qu’il faut valoriser. C’est un enjeu majeur pour nos territoires et pour notre avenir. Seuls nous sommes une goutte d’eau, ensemble nous sommes un océan, » a-t-il conclu.